RWANDA : D’UNE ZONE A RISQUE VERS UNE VIE A RISQUE, LE SUPPLICE DES PAUVRES DE KIGALI

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Comme annoncé par le ministre de l’Administration locale Professeur Anastase SHYAKA et le maire de Kigali Pudence RUBINGISA le 09 mars 2020, vendredi 13 mars les autorités rwandaises ont procédé à des démolitions illégales des habitations des pauvres et des classes moyennes de la ville de Kigali.

Ces démolitions ont été faites avec une violence mentale lorsque les habitants devaient détruire eux-mêmes les maisons qu’ils ont mises de nombreuses années à construire, une violence physique lorsque « les armes, la présence policière » étaient utilisées pour menacer les résidents et avec brutalité dans la mesure où les habitants des zones concernées n’ont pas eu le temps de se préparer et de trouver un nouveau logement.

Dans cet article, nous allons dans un premier temps relater l’essentiel des faits, ensuite nous aborderons la réaction des autorités et nous finirons par une longue partie consacrée aux témoignages des victimes, en effet les victimes ont émis le souhait que l’injustice qu’elles subissent soit connue de tous et qu’un jour elle soit écrite dans l’Histoire du Rwanda.

La synthèse des faits

Sur les images mises en ligne par Ishema TV ou par Umubavu TV les habitants de la cellule de Remera, dans le secteur de Nyarutarama et le district de Gasabo, la ville de Kigali manifestent leur mécontentement devant la caméra. La méfiance envers les journalistes est à son comble, ils se plaignent des journalistes qui sont venus les voir et ont reporté que les habitants avaient détruit eux-mêmes leurs maisons. En particulier ils citent la Radio Rwanda et Télévision Rwanda et s’interrogent si le journaliste d’Ishema TV va faire de même.

Ceux qui visionnent ces vidéos sont témoins des mots difficiles que les victimes emploient : “un Etat terroriste, du terrorisme, l’utilisation des armes, les menaces, la contrainte, le détournement des bien du peuple, des voyous…”.

A cette colère exprimée, s’ajoute un désarroi exprimé parfois au bord des larmes ou en larmes, en toute franchise dans un Rwanda où il est conseillé de ne pas parler pour ne pas s’attirer les foudres du régime du FPR. Les mots utilisés sont “refugiés dans notre propre pays, citoyens de seconde catégorie, chassés, expulsés, manque de considération, déshumanisés, nous manquons de porte-parole…

Justement pour les victimes elles se sont déjà attirées les foudres de la dictature sans avoir rien fait ou dit, elles tiennent donc à sauver leur honneur en souhaitant que tous les Rwandais sachent qu’elles n’ont pas détruit elles-mêmes leurs maisons, que c’est l’État rwandais qui l’a fait. Elles soulignent qu’elles n’ont pas l’énergie de démolir une maison, un bien qu’elles ont mis vingt-ans à construire ? « J’ai de l’énergie pour construire, qu’elles [N.D.L.R les autorités rwandaises] viennent, eux qui savent démolir, elles-mêmes détruire mes biens ! » a conclu une victime.

L’injustice que les pauvres et les classes moyennes de Remera subissent est d’autant incompréhensible pour eux qu’à proximité de leurs habitations viennent d’être construites des belles villas des riches épargnées par le programme de ces démolitions illégales. De plus on comprend que cela faisait trois ans que la Ville de Kigali leur avait informé avoir des investisseurs qui avaient acheté les terrains où se trouvent leurs maisons, que cela faisait trois ans qu’ils étaient en train de négocier le rachat de leurs biens fonciers et matériels. Que finalement ces démolitions visent à dégager le terrain pour construire une route qui mène à l’école privée Green Hills, fréquentée par les enfants des dignitaires du régime et construire les canalisations des maisons des riches…

Un programme soutenu du haut du sommet du pouvoir rwandais jusqu’à la base

Pour Paul Kagame, président du Rwanda, on aurait pu utiliser les chargeuse-pelleteuses

Dans une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux : Paul Kagame qui semble répondre à une question sur les démolitions, répond sur un ton humoristique : « En vérité, vous comparez souvent ce qui est fait ici et ailleurs. Si tu me dis que tu n’as jamais entendu parler, au niveau mondial, des démolitions des habitations des personnes, lorsque cela est justifié. Alors je comprendrais qu’au Rwanda nous innovons dans ce que nous ne devrions pas faire. Mais ailleurs ils viennent avec des Caterpillar (chargeuse-pelleteuses), tu les connais ? Ils les utilisent indubitablement pour ramasser! Mais ici vous avez peur, vous avez même peur de celui qui est en faute ! Ailleurs ils viennent le ramassent avec, la chargeuse-pelleteuse vient ramasser la maison et ses occupants et lancer par là. Et cela en accord avec leurs lois. Je suis d’accord avec toi sur un fait, les choses doivent être conduites d’une manière compréhensive ».

Pour Patricie Murekatete, secrétaire exécutif de la cellule de Remera, « vous me demandez d’avoir la compassion pour vous, vous-ai-je mis au monde ? »

Les habitants disent que la secrétaire exécutif a supervisé les démolitions, en veillant à ce que les victimes obéissent, face à leur cris de détresse, elle leur aurait répondu «vous me demandez d’avoir la compassion pour vous, vous-ai-je mis au monde ? ».

Suite à la publication des images par Ishema TV, elle est retournée auprès des habitants des maisons démolies pour leur interdire de parler aux journalistes, en mettant en prison ceux qui avaient parlé au journaliste d’ Ishema TV et un jeune homme Olivier, 23 ans, qui avait pris des photos des démolitions. Dans une nouvelle vidéo publiée samedi le 21 mars 2020, une mère dépitée a réagi anonymement à ces arrestations : « C’est comment enterrer un proche et ne pas dire que l’on a perdu un proche, ils démolissent dans le secret, je n’ai plus rien à sauver, que j’aille mourir en prison, mes enfants vont mourir dans la rue, mais ils ne vont pas démolir mes bien et me forcer de dire que c’est moi qui l’ai fait ».

Les témoignages des victimes

Une mère isolée, 5 enfants, la famille de Rudasingwa Manassé, «Qu’elles [les autorités rwandaises] viennent avec des armes nous achever car ils nous ont déjà tués, c’est fini ».

« J’ai deux maisons estimées à 18 millions de franc rwandais. Les frais de scolarités des enfants, la mutuelle venaient de ces maisons, ils ont apposé des croix aux deux maisons, ils vont les démolir et me donner une indemnisation de 90 000 Frw, ce montant va devoir nous loger, payer la mutuelle et les frais de scolarité, ce n’est pas possible.

Nous les pauvres, subissons une grande injustice, nous sommes anxieux, nous avons perdu une partie d’enfants, les plus intelligents se sont enfui en disant « nous allons tous mourir », nous ne savons pas où ils sont, leurs pères nous disent de se retourner vers l’État rwandais, c’est lui qui démolit que ce soit lui qui nous prenne en charge.

Qu’elles [les autorités rwandaises] viennent avec des armes nous achever car ils nous ont déjà tués, c’est fini. Nous n’avons pas voulu aller dans les appartements, nous voulions qu’ils nous indemnisent du montant estimé de nos biens et voilà qu’ils viennent avec le prétexte d’inondations pour s’approprier nos biens. Ils nous demandent de dire que ce nous-même qui avons démoli nos maisons et ils nous donnent 90 000 Frw. Une partie des gens dont je fais partie n’a pas accepté, je ne peux pas accepter de démolir une maison qui vaut plus de 10 million, je serais folle, c’est plutôt L’État rwandais, qui démolit nos maisons, qui a un vrai problème.

La fameuse croix rouge, dès qu’elle est posée sur une maison, cela veut dire pour les occupent la démolition de leur maison est imminente

Les services sociales viennent et mettent une croix sur la maison, après le responsable de la cellule appelle le nom de la famille et demande à venir récupérer 90 000 Frw et somme la personne d’aller démolir sa maison. Ce coronavirus n’est plus un souci pour nous, pour nous le coronavirus ce sont ces démolitions, nous avons oublié ce virus, cette maladie, le virus est devenu ces démolitions»

Un jeune homme, qui enchaîne les petits boulots, « L’Etat rwandais est un problème, il nous persécute »

« J’étais locataire ici, je payais 20 000 Frw de loyer, ils nous ont donné 10 000 Frw, que l’on soit seul ou avec une famille. Que peut-on faire avec 10 000 Frw ? Hier je suis rentré, j’ai trouvé qu’ils avaient démoli ma maison, cette nuit j’ai dormi dehors et par terre, c’est la vie. L’État rwandais est un problème, il nous persécute. Nous devons l’accepter c’est la vie, nous allons dormir dans les ruines ou dehors, nous n’avons pas d’autres choix ».

Un jeune homme, 23 ans étudiant, « Quelle est la vision que l’État rwandais a pour ces enfants, ces jeunes ? »

« Tous ces gens sont des Rwandais, la plupart ont des enfants 2, 3 voire plus. Je suis étudiant et je fais un petit boulot à côté de mes études. J’avais acheté un petit terrain et une maison pour ma mère pour que l’on devienne propriétaires. Ils viennent de la démolir, nous retournons vers la vie de locataires. C’est un retour en arrière sur le plan financier. L’État rwandais vient de nous faire reculer vers la pauvreté. Pour vous quelle est la Vision 2020 des Rwandais ? Quelle est la vision que l’État rwandais a pour ces enfants, ces jeunes ? Si tu les regardes, tu peur avoir de la compassion et pleurer. Comment allons-nous étudier, comment ces enfants vont pouvoir se nourrir ? Les prix des produits de première nécessité ont grimpés, il y a ce virus, où allons-nous ? Ce n’est pas la première fois ni la dernière fois ! Plusieurs journalistes sont venus ici, L’État rwandais s’en fout, il ne va rien faire ».

Nzabonimana jean Pierre, Une zone inondable qui a résisté aux fortes pluies depuis 20 ans

« Le problème est que le motif avancé pour démolir nos habitations n’est pas clair. Ils ont recensé nos propriétés et nous ont informés du montant de l’indemnisation. Nous sommes parfois allés jusqu’en justice car nous n’étions pas d’accord avec le montant proposé. Après cela ils ont pris la décision de démolir, ont programmé de nous expulser et de démolir nos maisons sans nous en informer. Ce n’est pas une décision pour l’intérêt commun, c’est pour les intérêts des uns et des autres. Ainsi ils démolissent nos maisons et on n’a personne vers qui se tourner, ils nous ordonnent juste « Démolissez ». Ils nous donnent 90 000 Frw en guise de loyer, mais regardez par vous-même [en les montrant] tous ces gens n’ont pas où aller. Nous n’avons nulle part où aller, et avec le coronavirus, au lieu de nous aider sur cela, nous ne savons pas où aller. Rien ne peut justifier leur méfait.

Ils mentent que les gens détruisent eux-mêmes leurs maisons, qui peut le faire ? Ils viennent marquer nos maisons d’une croix rouge, dans ce cas on doit partir de gré ou de force. Si vous êtes vraiment un journaliste, si vous n’êtes pas pour eux, vous allez reporter ce que vous voyez. Vous voyez par vous-même nous ne sommes pas dans une zone marécageuse. Ils ont déjà démoli les zones marécageuse, ils avaient dit mettre 20 mètres [à partir des marécages].

Pour le canal ils disent vouloir mettre 24 mètres, 12 mètre de chaque côté, c’est une route qu’ils vont construire ? C’est plus qu’une parcelle qui elle mesure 15m sur 20m…C’est vraiment une injustice.

Dire que c’est dans une zone inondable c’est mentir, avec les fortes pluies personne n’a été emportée. Je suis venue habiter ici il y a 20 ans, avant j’étais réfugie au Gabon. Je demande aux autorités au niveau national et non aux autorités locales de nous rendre justice, nous ne voulons pas qu’ils nous disent plus tard, nous n’avons pas su.

Ce que je demande d’autre est que même toi tu l’écrives pour que cela fasse partie de l’Histoire, pour que les futures générations sachent ce qui nous est arrivé, les démolitions et les croix [les maisons sont marquées d’un X rouge avant leur démolition], il ne faudrait pas mentir que cela n’est pas arrivé, l’Histoire rwandaise devra raconter les démolitions des maisons des gens de toute une colline.

Un homme, âge moyen, ” Revenez ici dans dix ans et vous verrez les maisons qui y seront construites “.

Je pense que l’État rwandais devrait prendre le temps et regarder la réalité des citoyens. C’est son devoir de veiller à la vie des citoyens, il doit regarder de tous les côtés, et ne pas seulement d’un seul côté. Ils disent que ces personnes habitent dans les maisons situées en zone inondable. Si tu démolis les habitations de personnes dont tu dis qu’elles habitent dans les zones inondables, pendant ce temps le riche vient et construit un étage sur trois niveaux dans cette même zone, c’est que c’est faux. Et le pauvre qui habite à côté de lui, ils lui disent « quittes et pars », parce que c’est un marécage, pourquoi l’étage lui, plus lourd ne va pas s’enfoncer ? Pourquoi ne sont-ils pas aller voir ceux qui ont construit ces maisons-là [les villas de luxe], pourquoi ne pas leur demander de donner la même estime aux riches comme aux pauvres ? Nous sommes tous des Rwandais. L’État rwandais soit savoir que si un riche paye les impôts, nous aussi les pauvres nous payons les impôts, ils doivent regarder tout le monde, ils ne doivent pas que regarder une seule catégorie de personnes.

Revenez ici dans dix ans et vous verrez les maisons qui y seront construites. Dix ans c’est beaucoup, ils disent qu’ils vont y construire les jardins, les jardins payeront les impôts ? Ils vont construire les appartements et autres belles villas dans ces marécages. Un investisseur a déjà acheté ce terrain. Ils nous brutalisent comme ça et nous courons, mais l’Etat rwandais a déjà encaissé l’argent de ce terrain et il est dans la bonne poche.

Ils disent qu’ils vont construire les maisons pour les expulsés, je ne comprends pas comment une fois expulsés et dispersés ils vont les retrouver pour les reloger. Ils auraient du préparer le programme de relogement comment ils ont préparé celui de destruction. Une mère de 6 enfants a dit qu’elle va prendre les tôles et dormir avec ses enfants par terre ! Si elle avait investi 30milions, au moins que l’on lui donne 15 millions pour qu’elle reparte vers les zones périphéries et recommencer. Le plus triste est que lorsque la pluie va tomber, celui qui dort ici par terre risque d’être emporté et de mourir… dans ce cas l’Etat rwandais va venir et dire que les citoyens ont été emportés, ont fait ceci et cela… Oui ils seront emportés par les inondations provoqués par l’état rwandais!

Aujourd’hui ils démolissent quinze maisons et demain 15 autres maisons, ils nous dispersent, ainsi nous n’avons pas de porte-parole, c’est comme amener une vache à l’abattoir, si la vache pouvait se retourner et parler elle dirait peut-être non. Lorsqu’il pleut, je prends mon sac à dos, dans lequel j’ai mis mes vêtements et m’en sers comme d’un parapluie. Je vous demande que notre conversation ne s’arrête pas ici, il faut parler pour nous et faire connaitre notre injustice. Les autres Rwandais qui n’habitent pas ici doivent savoir que nous subissons une injustice.

Furaha Roseline, une mère isolée, trois enfants, « Les armes servent à nous obliger à démolir nous-même nos maisons ».

« Je suis venue du Congo, nous avons été chassés du Congo, nous sommes venus au Rwanda. Lorsque nous sommes arrivés au Rwanda, dans notre pays, nous nous sommes reconstruits. Voilà que même ici ils commencent à nous chasser. Ils ont recensé nos propriétés et ont fait une estimation. Ils nous donnent 90 000 Frw pour nous reloger là où une maison avec chambre se loue à 50 000 Frw ! Que va –t- on faire avec 90 000 Frw ?

Je suis une mère qui éduque seule mes trois enfants, maintenant ils ne vont plus pouvoir aller à l’école. Mes parents s’étaient réfugiés au Congo en 1959, nous sommes revenus car ils sont nés au Rwanda, je ne sais pas où je vais aller, je ne sais pas si je vais retourner au Congo. Ici ce n’est pas une zone à risque (inondation ou marécageuse), nous ne savons pas pourquoi ils veulent nous expulser, si c’est pour nous chasser, si c’est un évènement qui va se dérouler au Rwanda, nous ne savons pas !

Je ne sais pas quel chemin je vais emprunter pour retourner au Congo, je n’ai nulle part où aller ailleurs au Rwanda. Si les investisseurs ont acheté ces terrains qu’ils nous remboursent, probablement que l’Etat rwandais a détourné cet argent. Nous allons monter des tentes pour dormir dehors, si les voleurs le veulent ils peuvent nous tuer, nous n’avons pas le choix.

L’Etat rwandais vient te met la pressions pour démolir toi-même ta maison, si tu ne le fait pas tu es menacé, c’est par peur que nous détruisons nous-mêmes nos maisons. Ici il y a des hommes, des femmes et des armes. Les armes servent à nous obliger à démolir nous-même nos maisons. Le pauvre citoyen n’a pas droit à la parole. C’est du terrorisme, lorsque nous sommes venus au Rwanda, le terrorisme était supposé être fini. Il y a du terrorisme au Rwanda, nous allons retourner au Congo et cela ne va pas aider ceux qui y sont à avoir la confiance de revenir au Rwanda ».

Un père de famille, « Ils disent que nous démolissant nous-même nos maisons, c’est archi-faux »

« Ils disent que nous démolissant nous-même nos maisons, c’est archi-faux, il y a la police, les DASSO (organe chargée de la sécurité locale)…qu’ils nous donnent notre indemnité, cela fait trois ans que nous attendons, un canal de 50m de largeur c’est du jamais vu, nous ne devrions pas partir pour nous sans qu’ils nous aient donné une contrepartie à la hauteur de la valeur de nos biens »

Un jeune homme, « ils viennent de mettre notre vie à risque »

« Un Etat qui dit agir pour les intérêts du peuple, nous sommes d’accord avec ce principe…notre souhait est qu’ils nous donnent une indemnité sur la base de la valeur de nos terres, cela fait trois ans…Et là ils inventent un prétexte de zones à risques. Les loyers ont grimpés, avec 90 000 Frw on ne trouve qu’une maison pour un mois, nous n’avons nulle part où aller. C’est cela le risque, ils viennent de mettre notre vie à risque. A notre détresse s’ajoute ces maladies cette coronavirus, en étant dehors nous allons attraper beaucoup de maladies, vous les journalistes parlez pour nous, ceci est une injustice. Ils nous avaient promis de une indemnité, c’est comme si l’on va nous en priver ».

Ihora Harabona Jean de Dieu, un père de famille, « j’ai dit à mes enfants que parfois il faut accepter de vivre dans une tente. Nous sommes des réfugiés dans notre pays ».

Cela fait trois ans que l’Etat rwandais est venu nous voir et nous a dit qu’un investisseur allait venir nous faire déménager, nous n’avons pas pu nous mettre d’accord sur les modalités de rachat des terres. Il voulait nous forcer à prendre des appartements et ce en fonction de la superficie de nos parcelles.

  • Pour une superficie inferieur à 99m², la personne aurait dû recevoir en contrepartie une chambrette
  • pour une superficie comprise entre 100m² et 250m², la personne aurait dû recevoir en contrepartie un appartement d’une chambre et salon
  • pour une superficie comprise entre 251m² et 499m², la personne aurait dû recevoir en contrepartie un appartement de deux chambres et salon
  • pour une superficie supérieure à 500m² la personne aurait dû recevoir en contrepartie un appartement de trois chambres et salon

Lorsqu’ils nous ont présenté le programme nous avons refusé car une personne peut avoir une petite superficie et rentabiliser beaucoup plus que celui qui a une grande superficie. Nous leur avons donné l’exemple d’une personne qui aurait construit une étage sur 99m2, de ce fait il aura un retour sur investissement plus conséquent, beaucoup plus qu’une personne qui aura construit une chambrette sur un hectare terrain. Nous leurs avons proposé de venir et estimer nos biens sur la basse de la réalité. Ils sont venus et ont estimé à leur façon, par exemple le mètre carré de terre ici coûte 53 000Frw, ils nous l’ont estimé à 8 000 Frw. La valeur de biens était sous-estimée. Nous n’avons pas voulu, ils nous ont demandé de faire faire une contre-expertise. Nous n’avons rien pu percevoir par la contre-expertise, car on leur avait ordonné de ne pas dépasser 30% de l’argent qu’ils avaient prévu. Nous avons accepté qu’ils nous donner ce montant même s’il était faible. Par exemple je possède un terrain de 496m², construit, j’acceptais de percevoir le montant estimé de 40millions de Franc rwandais et me reloger ailleurs, ils n’ont pas voulu nous donner le montant et au contraire ont voulu nous forcer à accepter les appartements.

Ils disent que nous avons démoli nous-même nos maisons, les gens ont peur, on nous menace. Le responsable de la cellule est venu, ils sont venus avec des manpower (hommes qui fournissent le service pour le service nécessitant la force physique). Ils nous ont donné 90 000 Frw pour trois mois, ce n’est pas suffisant, à ce tarif on obtient une chambrette. Les gens ont accepté pour survivre aujourd’hui. Mais je pense que les sans-abri hommes et femmes à Kigali vont augmenter dans quelques jours. La loi dit que les zones non constructives sont 20m après le marécage, ici ils ont augmenté la limite à 30m et hier ils ont ajouté 40m supplémentaires, c’est du vol, ce sont des voyous.

Il dit avoir une forte migraine et un début d’ulcéré

On vient de nous enlever le droit à notre propriété et de nous expulser, c’est du vol, c’est de la méchanceté. Tout cela est fait par la ville de Kigali. J’habite ici depuis 18 ans, je n’aurais pas la force de démolir l’œuvre que j’ai construite pendant 18 ans, je ne vais pas le faire, je ne leur donnerai pas mon titre foncier, qu’ils viennent eux-mêmes détruire. J’ai mis à l’abri ma famille et les matériels. Regardes les armes, regardes les policiers…les moins résistants ont tout de suite démoli leurs habitations par peur, si je résiste c’est que je vais avoirs 45 ans, je ne pourrai pas avoir l’énergie que j’avais à 20 ans lorsque j’ai commencé à investir. Il n y’a plus de vie au Rwanda, il n y’a plus de travail. Lorsque je touchais 900 Frw je pouvais manger, payer un loyer et épargner…Aujourd’hui un salaire de 20000 ne permet pas de manger. L’argent rwandais a perdu beaucoup de sa valeur. Vous avez vu ma maison, j’avais 9 chambres à louer, j’habitais dans une maison avec salon et 5 chambres, il y avait les cuisines et les salles de bains, les matériaux de constructions étaient modernes. Démolir mes biens est vraiment une injustice. Nous subissons l’injustice d’un homme riche qui utilise la force car soutenu par l’Etat rwandais. Nous entrons dans une vie des réfugiés, j’ai dit à mes enfants que parfois il faut accepter de vivre dans une tente. Nous sommes des réfugiés dans notre pays. Si vous lisez la loi, elle est bien faite, ils n’ont pas appliqué la loi. Ma fortune était estimée à 80 000 000 Frw par les banques, ils l’ont estimée à 40 000 000 Frw. Même ces 40millions ils ne veulent pas me les donner. J’ai de l’énergie pour construire, je n’ai pas la force pour détruire, que l’Etat rwandais qui a la force de démolir vienne et démolisse. Je résiste, je ne démolirai pas ».

Kabanyana Ancinati, une mère isolée, 5 enfants, « nous allons dormir ici dehors avec les enfants par terre avec le risque d’attraper froid »

« Cela fait 21 ans que nous habitons ici, en 21 ans personne n’est décédée suite aux inondations, mon mari m’a abandonnée avec 5 enfants, cela fait trois ans qu’ils ont estimé notre maison et maintenant l’Etat rwandais me donne 90 000 Frw pour aller ailleurs. Au bout de trois ans c’est là qu’ils réalisent que c’est une zone à risque ? Ils disent qu’il va y avoir des inondations mais nous allons dormir ici dehors avec les enfants par terre avec le risque d’attraper froid. J’ai vendu mon héritage et j’ai investi ici, je n’ai pas d’endroit où aller. Les 90 000 frw, on nous force à les prendre, qui peut être fou au point de démolir une maison qu’il a construite depuis les fondations jusqu’au toit ? Tous ces gens ne sont pas fous, ils mentent en disant que c’est nous qui avons démoli nous-mêmes nos maisons. Si nous étions tous égaux, l’Etat dirait à cet investisseur que ses étages versent de l’eau sur les habitations des pauvres, ils peuvent lui dire de venir acheter le terrain pour aménager ses canalisations. Ils défendent les intérêts d’un seul homme, il est riche, nous sommes pauvres. Nous sommes sacrifiés car nous sommes pauvres. L’Etat rwandais devrait agir pour nos intérêt et vous les journalistes vous devriez informer sur notre situation ».

La loi rwandaise dit que lorsqu’un citoyen doit être exproprié, il devrait bénéficier d’une indemnité préalable et d’un délai de 120 jours. L’Etat rwandais est hors la loi.

Constance Mutimukeye