HANIKA : PASCAL NYIRIMANA, ENFANT IL A ETE TEMOIN DE LA SEGREGATION ETHNIQUE AU RWANDA SOUS LE REGIME DU FPR

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Par Constance MUTIMUKEYE

HANIKA : Tubivuge BITAZIBAGIRANA est une initiative de l’Alliance Rwandaise pour le Pacte National RANP-ABARYANKUNA, qui encourage les Rwandais à clamer haut et fort (HANIKA) leurs vécus en vue d’écrire eux-mêmes leurs histoires et pèsent sur l’Histoire du Rwanda par extension. En effet les témoignages des Rwandais sont une arme efficace contre ceux qui veulent imposent une version unique des faits.

Pascal dans la trentaine vit aujourd’hui en Australie. Il avait 9 ans lorsqu’il s’est retrouvé seul dans les forets de Kisangani lors de la première guerre du Congo qui a commencé vers octobre 1996 au Zaïre. Il habitait le camp de réfugiés de kashusha lorsque les rebelles de l’AFDL aidés par les troupes de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) ont traqué les réfugies rwandais commentant sur eux d’atroces crimes que le Mapping Report a dit qu’ils pourraient être qualifiés de crimes de génocide devant un tribunal. Ijisho ry’Abaryankuna vous raconte en bref  l’histoire de Pascal dès son départ au Rwanda en 1994 jusqu’à son retour au Rwanda en 1998.

Le départ du Rwanda

Pascal avait 5 ou 6 ans lorsqu’il a quitté le Rwanda en 1994. Orphelin de mère il était élevé par ses grands-parents maternels. Ils sont partis de l’ancienne préfecture de Kibuye, dans la commune Kivumu et se sont réfugiés en République Démocratique du Congo (à l’époque Zaïre) dans la ville de Bukavu, dans le camp de réfugiés de Kashusha. Sur place il vivait une vie d’enfants épaulés par ses grands-parents et était scolarisé dans des écoles de fortunes mises en place dans ces camps par les réfugiés eux-mêmes.

La première guerre au Congo, l’exode vers les forêts du Congo

Pascal se souvient du jour où la première guerre du Congo est arrivée dans leur camp de réfugiés. « C’était une journée normale et nous vaquions à nos occupations, ce jour-là nous avons entendu des tirs et avons pensé à des explosions banales. Il était vers 15h lorsque les sirènes ont retenti pour annoncer que les réfugiés devaient partir ».Pascal explique que ceux qui tiraient sur les réfugiés venaient de la direction du Rwanda ce qui a empêché les réfugiés d’emprunter la direction vers le Rwanda d’autant plus qu’ils tiraient sur les réfugiés : « Si tu vois des gens tomber sous les balles ou être blessés, tu ne vas pas prendre le chemin vers l’endroit d’où provient les tirs», explique-t-il. Les réfugiés avaient l’intention de se rendre vers Goma, pour rejoindre les autres réfugiés rwandais et au milieu de la route ils ont appris que les camps de réfugiés de Goma avaient été aussi attaqués. Ils ont rebroussé le chemin pour emprunter la direction vers Kisangani. Au départ de Kashusha, Pascal et ses grands-parents avaient été séparés du reste de la grande famille (les tantes maternelles de Pascal). Ils les ont retrouvés à un endroit où les réfugiés avaient établi un petit camp, à cet endroit il n’y avait plus de route mais seulement les forêts. Ils y sont restés quelques jours. Pascal ne se souvient pas exactement des noms des camps ou de la notion du temps.

Le camp des réfugiés de Kashusha, plus de 25 000 réfugiés y étaient hébergés

La séparation avec les grands-parents

Pascal raconte qu’un jour ceux qui pourchassaient les réfugiés ont fini par arriver à ce petit campement et ont une fois de plus tiré dans les réfugiés. Pascal se souvient que lorsque les tirs sont arrivés au camp beaucoup de gens sont morts et le départ s’est fait dans la précipitation. « C’est au départ de ce camps que j’ai été séparé de mes grands-parents », « je suis parti dans le groupe avec ma cousine, mes deux cousins du côté de ma mère, il y avait aussi mon petit-cousin. Le mari de ma tante est parti avec les autres enfants mais séparé de ma tante, nous avons su cela une fois arrivés au Rwanda. »

Comme Il n’y avait pas de chemin pour traverser la forêt les hommes marchaient devant avec des machettes et coupaient les arbres pour tracer le chemin pour les autres. « Dans mon groupe on se levait tôt et on marchait, à midi on s’arrêtait pour faire la cuisine et manger. Lorsque le soleil ne tapait plus on reprenait la route, il y a des jours où l’on ne dormait pas. ».

Lorsque nous lui avons demandé s’il avait revu ses grands-parents, Pascal nous a répondu que : « J’ai pu revoir mon grand-père lorsque je suis retourné au Rwanda en 1998, mais à ce jour je n’ai jamais pu revoir ma grand-mère, malgré toutes les recherches que ma famille a effectuées, nous ne savons pas ce qui lui est arrivé ».

L’exode a  continué jusque dans un autre camp où ils sont restés plusieurs mois. Pascal ne se souvient pas exactement du nom du camps mais pense que c’est vers la zone deTingi-Tingi. « Dans ce camp il s’est passé beaucoup de choses qui nous ont affectés et nous affectent encore aujourd’hui nous les enfants. Nous avons perdu beaucoup de personnes dans ce camp, nous avons perdu ma cousine, nous avons perdu le petit-frère du mari de ma tante, nous avons perdu le fils du défunt. Ce qui nous a rendu triste est que lorsque les soldats sont arrivés dans ce camp la mère du mari de ma tante était malade, elle venait de perdre un fils et un petit-enfant cela combine à une mauvaise qualité de vie et le paludisme, elle ne parvenait pas à guérir. Lorsque les soldats sont arrivés nous ne voulions pas partir et la laisser surtout son fils, la mère a été obligé de dire à son fils que nous ne pouvions pas rester et lui a demandé de partir pour sauver les enfants. C’est comme si nous l’avons laissé mourante mais sans qu’elle ait pu sortir son dernier souffre».

Tingi-Tingi, les réfugiés y sont arrivés extrêmement fatigués

Le départ de Tingi-Tingi s’est fait dans la précipitation et a fait beaucoup de morts. Pour Pascal comme il y avait beaucoup d’avions et des organismes internationaux qui surveillaient les réfugiés, les soldats avaient changé de méthode pour les tuer : ils ne tiraient plus sur eux et les forçaient à entrer dans la forêt en tirant dans l’air pour qu’ils quittent la route. Ainsi ils pouvaient les tuer à l’abri des regards.

Le mari de sa tante ne voulait plus partir et attendait la mort, lorsque les militaires les ont forcés à entrer dans la forêt il a obéi mais une fois dans la forêt il s’est assis et a dit aux enfants qu’ils allaient attendre la mort. Pascal nous raconte que lorsque les refugies arrivaient dans la forêt les militaires ne tiraient plus dans l’air mais sur les réfugiés, il y avait des morts et des blessés partout. A l’endroit où ils étaient assis un militaire les a trouvés et leur demandé de déguerpir au plus vite. Leur oncle a répondu que non : « Nous ne partirons pas, tuez-nous ici dans tous les cas on va mourir dans ces forêts. » Pascal raconte que le militaire au lieu de sortir son arme et les abattre a sorti une machette et a coupé un bâton et les a frappés. Pascal se souvient des paroles qu’il leur a dit : « Je ne veux plus vous voir devant moi, partez car mes camarades derrière moi s’ils vous trouvent, ils vont vous tuer ». A ces paroles tous les enfants se sont levés et ont commencé à courir et leur oncle les a suivis. Ce départ précipité a encore une fois scindé le groupe et c’est à cet instant que pascal s’est retrouvé seul.

A 9 ans seul dans une forêt au milieu de la guerre au Congo.

Avec beaucoup de peur Pascal a continué le chemin tout seul, il enjambait les cadavres, il suivait la foule. Pour survivre les enfants isolés se débrouillaient et parfois demandaient de la nourriture aux gens. Parfois l’on leur donnait ou pas car les gens n’avaient eux-mêmes pas grand-chose à partager. Au deuxième jour Pascal a rencontré un jeune homme qui connaissait sa famille dans le camp et lui a proposé le prendre sous son aile : « Je n’ai pas grand-chose à te donner mais je partagerai le peu que j’ai avec toi » lui-at-il dit. Arrivés à Kisangani, l’UNICEF avait commencé à récupérer les enfants sans accompagnement et les rapatriaient au Rwanda, le jeune homme qui avait recueilli Pascal lui a conseillé d’aller se faire reconnaitre comme un enfant isolé pour qu’il puisse être rapatrié. Pascal raconte qu’il a été parmi les premiers enfants à être rapatriés au Rwanda, et c’était en début de l’année 1998.

Le retour au Rwanda

Une fois au Rwanda, Pascal a été emmené dans des centres qui abritaient les enfants isolés, il a été conduit dans un premier centre à Gitarama (actuellement Muhanga) qui était aussi un orphelinat qui accueillait les orphelins du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994. Pascal se souvient qu’il y avait une séparation nette entre les deux groupes d’enfants et que les orphelins du génocide étaient choyés alors que les enfants venant du Congo étaient maltraités. Dans ce centre les enfants ont été triés selon leur commune d’origine. Les enfants originaires de la même commune que Pascal ont été à la suite emmenés dans un second centre situé à Gitarama, à Kabgayi. Pascal garde en mémoire encore une fois la ségrégation organisée entre les enfants orphelins et les enfants de retour du Congo : « ce qui m’a étonné et qui me fait mal encore à ce jour est que c’est dans ce centre où pour la première fois j’ai réalisé que le FPR avait un programme de faire une ségrégation parmi la population en utilisant le génocide. J’ai deux preuves :

  • Ces enfants étaient bien nourris(riz, haricots…), étaient lavés, avait des pommades pour bien entretenir leur peau… Alors que nous ne mangions que des Impungure (un mélangé d’haricots et de maïs).
  • On coupait les cheveux de ces enfants à l’aide d’une tondeuse et pour nous ils utilisaient une lame de rasoir quitte à nous blesser.

Ces enfants s’ils m’écoutent, ce n’est pas de leur faute mais de celui qui avait mis en place cette ségrégation. Cela a été une expérience douloureuse pour nous les enfants. » raconte Pascal.

Les retrouvailles avec le grand-père

Dans cet orphelinat, l’on a demandé aux enfants leurs identité et peu après ils ont été conduits dans leurs communes respectives à la recherche de leurs familles. C’est ainsi qu’un jour Pascal a été amené à Kivumu, sur place il a reconnu son oncle qui l’a reconnu aussi à son tour, Pascal se souvient que les premiers mots qu’il lui a dits ont été : « Tu sais que ton grand-père est rentré hier ? », ce qui a apaisé Pascal.

Pascal n’a plus revu sa grand-mère, la vie au Rwanda n’a pas été facile car il y avait un climat d’insécurité. C’était au moment de la guerre dite des « Infiltres » et dans sa commune beaucoup de gens ont été tués par les soldats de l’APR (armée rwandaise) sur fond de cette guerre. Une partie de la famille de Pascal avait pu arriver en Europe. Le climat d’insécurité a amené le grand-père de Pascal à lui convaincre de quitter le Rwanda contre son gré : « Je ne voulais pas laisser mon grand-père seul au Rwanda, il a fini par me convaincre que je devais avoir la chance moi aussi de vivre une vie d’enfants ».

Pascal est aujourd’hui un homme accompli, après son départ du Rwanda en 1998 il a passé 20 ans en Allemagne et vit aujourd’hui en Australie. Son conseil pour ceux qui ont subi les mêmes atrocités est que le secret (ou le moyen) pour se reconstruire est de ne jamais se considérer comme une victime : « Si l’on se considère comme une victime l’on donne de l’importance à celui qui nous a fait devenir une victime (le bourreaux). Il faut juste le considérer comme une personne qui nous a donné une leçon de vie (…) Kizito Mihigo a chanté la bonne colère (Umujinya mwiza), il faut juste ressentir cette bonne colère et éviter la mauvaise colère ».

Pour Pascal, la reconstruction du Rwanda passe par accepter que les évènements dramatiques qui sont arrivés aux Rwandais soient un malheur pour le Rwanda. Il faut éviter de penser que c’est une « ethnie[1] » qui a fait du tort à une autre « ethnie » mais considérer que tous les Rwandais ont été des victimes. Nous devons militer pour reconstruire le Rwanda en rebâtissant notre unité. Pour lui le chemin vers la réconciliation passe par les voix de cette jeunesse qui clament haut et fort qu’ils sont Rwandais, rejettent les ségrégations notamment mémorielles.

Le témoignage en Kinyarwanda :

https://youtu.be/2deifZ37xfI

Constance Mutimukeye


[1] RANP ABARYANKUNA considère que les Hutu,Tutsi et Twa sont des groupes socio-économiques qui ont été considérés à tort comme des ethnies par la colonisateur belge.