CASSIEN NTAMUHANGA : COMMÉMORER TOUTES LES VICTIMES EST FAIRE PREUVE DE COMPASSION ET D’EMPATHIE

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Le message de Cassien Ntamuhanga

Ce 01 mai 2020 a eu lieu une cérémonie en ligne de commémoration pour toutes les victimes rwandaises emportées par les guerres, les crimes de masse et le génocide perpétré contre les Tutsi dans les années 1990s. Cette cérémonie a été organisée par l’association Jambo ASBL. Dans cet article nous revenons sur le message  de Cassien Ntamuhanga, un message marqué par une vision inclusive des victimes rwandaises, un appel à plus de compassion et d’empathie pour celles et ceux qui utilisent leur douleur pour étouffer celle des autres, ou ceux qui pratiquent la ségrégation mémorielle. Dans les lignes suivantes vous trouverez un extrait de son message :

Nous, en tant que RANP Abaryankuna, pensons que la semaine de commémoration [NDLR celle du 07 avril au 13 avril)  ou dans les autres occasions qui  réunissent  les personnes pour commémorer,  à l’exception des commémorations des évènements particuliers comme la commémoration des Tutsi massacrés dans l’église de Nyarubuye, ou la commémoration des refugiés tués dans le camp de Kibeho, nous pensons qu’il faut commémorer le génocide perpétré contre les Tutsi mais aussi les autres crime de masse perpétré contre les civils Rwandais que l’on n’a pas qualifiés de génocide.

Je suis heureux de participer à une commémoration pour toutes les victimes, à savoir commémorer les Tutsi tués lors du génocide et également  commémorer  les Hutu qui ont été massacrés. Mais il est aussi important de se rappeler que les victimes ont été tuées par  des Rwandais, une partie par les Hutu et une autre partie par les Tutsi, même si l’ensemble des personnes de ces ethnies n’ont pas participé aux massacres. Vous comprenez donc le caractère pesant de ces massacres. A titre personnel, les deux côtés ont essayé de me tuer, les deux m’ont blessé physiquement et émotionnellement et ce n’est pas fini. Je suis toujours une cible par les tueurs qui n’ont pas encore déposé les armes.  Nous connaissons de nombreux exemples des rescapés qui croyaient être hors du danger et ont fini par être assassinés à leur tour. Le plus triste est qu’ils ont été emportés par une mort similaire de celle des années 90s  qui a emporté les vies de ceux que nous commémorons aujourd’hui.

C’est triste, nous espérons le jour où le climat au Rwanda sera apaisé, le jour où l’on proclamera que les armes sont déposées, le jour où la guerre qu’un Rwandais mène contre un autre Rwandais sera définitivement terminée.

L’apport de Ntamuhanga à l’idée de la commémoration pour toutes les victimes

  • Il faut penser aux familles mixtes, composées des Hutu et des Tutsi

Vous savez tous qu’au Rwanda il y a de nombreuses familles composées de deux ethnies, hutue et tutsie, ces familles issues des mariages entre un (une) Hutu et un (une) Tutsi n’ont  pas été épargnées lors du génocide. Un mariage mixte n’a pas épargné le Tutsi lors du génocide, le peu de personnes que cela a aidé ont dû assister à l’assassinant de leurs proches par ceux qui avaient des liens avec son conjoint ou conjointe. C’est une façon de mourir vivant.

Le FPR aussi, dans les crimes qu’il a commis n’a pas épargné une personne parce que son mari ou femme était Tutsi, il tuait la personne tout simplement,  de même c’est aussi mourir vivant de devoir voir ses proches être tués par les personnes appartenant à ta belle famille.

Les survivants de ces familles mixtes ont perdu leurs proches de deux côtes, leur dire qu’ils doivent commémorer une partie des victimes seulement  alors que leurs familles sont  mixtes et composées de plusieurs ethnies, ce sera leur enlever quelque chose, leur faire régresser, pour ces familles c’est mieux de commémorer ensemble toutes les victimes tuées parce qu’elles sont nées dans telle ou telle ethnie.

  • Nous avons été témoins des crimes que les Interahamwe et  Inkotanyi ont commis

Nous avons vu les Interahamwe et ceux qui les ont aidé tuer les gens, nous avons  aussi vu les Inkotanyi et ceux qui les ont aidé tuer les gens. Le FPR comme le parti politique mère des Inkotanyi qui ont participé à une partie de ces massacres qui ont endeuillé le Rwanda, enjoint les Rwandais à commémorer  seulement une partie des victimes rwandaises et met l’accent sur une partie seulement des tueurs, il va de soi que c’est une façon de se protéger. J’imagine aussi que si les Interahamwe étaient toujours au pouvoir, ils auraient enjoint les Rwandais à commémorer une partie seulement des victimes, c’est dans la perspective de se protéger aussi.

Nous qui avons été témoins de ces crimes hors du commun que ces deux parties ont commis, nous savons comment ceux que nous commémorons ont été tués, nous savons qu’ils n’avaient commis aucune faute pour mériter la peine de mort, nous savons que tous ont été tués du fait de leur appartenance ethnique, nous n’ignorons pas non plus ils n’ont pas choisi cette appartenance ethnique, nous comme des personnes libérés de l’emprise du FPR et d’autres modes de pensée erronées, nous devons tous les commémorer et en même temps.

Combattre l’obscurité par la lumière est une valeur fondamentale des Abaryankuna. Nous la portons par cette phrase en Kinyarwanda : “Umuntu ni nk’undi” plus connu son sa dénomination sud-africaine “Ubuntu”
  • La compassion et l’empathie sont des valeurs de l’humanité et chrétiennes pour les croyants

Les rescapés, celui du génocide perpétré contre les Tutsi ou celui des crimes de masse perpétrés contre les Hutu, connaissent  leur douleur.  Si tu es un rescapé, ce serait honteux de considérer que ta douleur est supérieure à celle de ton prochain qui a traversé les mêmes épreuves que toi. Pour moi c’est  est une forme d’irrespect envers Dieu  t’a sauvé. Ne suivons pas les pensées, le terrorisme et l’extrémisme des bourreaux, avançons, et soyons pour le Rwanda, pour les plus jeunes, les graines de demain, montrons leurs que l’être humain est unique et égal  à son prochain,  faisons le pour honorer ceux dont la vie a été emportée pour rien.

Si actuellement, les voisins s’entraident sans considération ethnique, pourquoi ils ne pourront pas se réunir pour commémorer les innocents qui ont été massacrés du fait de leur naissance. Nous devons le faire d’autant plus que nous n’avons pas pu tous les accompagner dignement à leur dernière demeure sur terre.

Tout cela n’est-il  pas le fruit du fait que nous accordons de l’importance à ceux qui ont une part de responsabilité dans ces massacres ? Si tu n’as pas participé à ces tueries, qu’est-ce qui t’empêche de t’unir aux autres pour commémorer toutes les victimes ? Pourquoi tu veux t’opposer à ceux qui le font ? La compassion et l’empathie sont des valeurs symbole de l’humanité et chrétiennes pour les croyants.

Par Cassien Ntamuhanga

Traduit par constance Mutimukeye